Les masseurs aveugles de Kunming font partie du patrimoine de la ville. On les rencontre surtout au centre ville, avec leur blouse blanche et le petit tabouret sur lequel ils font asseoir leur patient, quelque peu décalés dans cet univers de magasins de luxe, de Mc Do et de buildings flambant neufs, ou autour de Cuihu, le grand espace vert de la ville, surtout le week-end quand le parc fait le plein. On trouve également en ville de nombreuses officines où les masseurs, qui ne sont pas tous aveugles, vous procurent un massage complet de la tête aux pieds pendant une bonne heure pour la modique somme de 20 yuans (2 euros).

Rien à voir avec un massage sensuel ou relaxant, petites natures s’abstenir ! Le massage chinois est avant tout un massage thérapeutique, basé sur les méridiens d’acupuncture. On s’y rend pour des courbatures ou des douleurs au dos bien sûr, mais aussi pour un rhume, un mal de tête, une diarrhée, une fatigue, ou tout simplement pour maintenir une circulation d’énergie optimale. Efficace mais éprouvant ! Le masseur utilise ses doigts, ses poignets, ses coudes et a l’art de vous faire découvrir des points douloureux dont vous ne soupçonniez même pas l’existence. Ne comptez pas sur sa compassion, au moindre signe de douleur, la pression se concentre et redouble d’intensité.

Tout commence par un massage de la nuque : dès lors, votre dos n’est plus qu’un guitare dont on titille les cordes qui résonnent, vibrent et tremblent sous des doigts qui s’obstinent à chercher l’accord parfait quand les couac se multiplient. Délicieuse sensation de n’être qu’un instrument désaccordé aux fils tendus et prêts à céder! Vient ensuite le malaxage -ou le broyage, c’est selon- des omoplates et des épaules. La peau et les muscles roulent sur le bord des os comme un vêtement sur le battoir de la lingère jusqu’au ramollissement complet. A ce stade, vous vous demandez pourquoi vous êtes venu et s’il n’y a pas un petit fond de masochisme en vous… seulement voilà, maintenant qu’on y est, autant aller jusqu’au bout ! Il reste toujours l’espoir que la suite sera plus douce. Que nenni ! Sans vous laisser le temps de respirer, les doigts attaquent la colonne, vertèbre après vertèbre, jusqu’à ce que vous ayez la conscience absolue de votre squelette désarticulé. Ca irradie, ça chauffe, ça lance ? Tant mieux, vous êtes sur la bonne voie. Vous ne voulez pas passer pour une mauviette, surtout qu’autour de vous les chinois supportent le même traitement vaillamment et sans un souffle, mais bon, là vous allez réagir, trop c’est trop …. C’est trop tard, des coudes ont remplacé les doigts et tournent, tournent, tournent autour des vos épiphyses comme pour hypnotiser la douleur.

Là, c’est bon, vous avez passé le plus dur, on arrive aux fesses : les fesses, c’est mou, dodu, les os sont profonds,… c’est du gâteau ! Et après, les cuisses et les mollets, on doit pouvoir supporter. Bien sûr, on peut tout supporter dans la vie, même la pression sur des points d’acupuncture qui vous font sauter comme une carpe hors de son bassin. On est presque content d’arriver au massage de la plante du pied où les doigts s’enfoncent sans tenir compte de votre irrépressible envie de donner des coups de pieds qui vous libéreront enfin de ces aiguilles qui les transpercent. Après avoir copieusement frappé tout votre corps avec le tranchant des mains, opération qui vous fera imaginer les sensations que peuvent ressentir un pudding ou une gelée anglaise transportés dans une voiture, le masseur vous invite enfin à vous retourner.

Bonne nouvelle : la face avant vous réconciliera avec votre tortionnaire, …. à condition que vous n’ayez ni rhume, ni problèmes de digestion. Le massage de la tête et du cuir chevelu est un vrai plaisir, juré ! Les bras et l’avant des jambes, rien à y redire, juste quelques points au creux du coude ou le long des tibias, mais bon, vous n’en êtes plus à quelques douleurs près !

Il ne vous reste que la piqûre de rappel, on ne va quand même pas vous laisser partir comme ça ! Assis sur votre petit tabouret, votre masseur préféré et tant aimé derrière vous, vous êtes revenu au point de départ : un dernier massage de la nuque pour la route – enfin libérée de toute tension… on peut toujours rêver !-, et voilà parti vers d’autres aventures que vous aurez à cœur de remettre jusqu’au lendemain.

L’expérience vaut le détour,  n’hésitez pas ! Après avoir stoïquement supporté une heure de massage intensif et découvert une autre géographie de votre corps, vous en ressortirez soulagé et débarrassé de vos symptômes. D’ailleurs les Chinois ne s’y trompent pas, les salons sont souvent pleins à partir du début de l’après-midi et jusqu’à une heure avancée de la soirée.

Flâneries chinoises